Nous avons tous commencé puis abandonné une collection de timbres, de numéros zéro des journaux, de petites autos. D’autres ne lâchent jamais, c’est grave ?
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Cinq-cents soldats soigneusement rangés gardent en silence la chambre de François, 24 ans. Une impression qui confine au malaise saisit le visiteur. François est collectionneur. C’est à dire qu’il consacre la majeure partie de sa vie et la totalité de ses pensées à sa passion. Son argent, son temps, sa volonté, sont aspirés par ces figurines dont il est tombé amoureux à l’âge où les autres garçons commencent à regarder les filles. « Du plus loin que je me souvienne, je vois des petits soldats. Ceux de mon grand oncle qu’il était interdit de toucher –comme les miens aujourd’hui- et que ma mère acceptait de m’offrir en récompense de mes bonnes notes ».
Dans la vie, tout se flétrit, s’abîme et meurt. Une collection, c’est le contraire.
Au lieu de se ratatiner, elle se développe, prend de la valeur. Chaque jour lui apporte un plus au lieu d’un moins. Or, l’accumulateur a le vide en horreur. N’acceptant pas l’idée de la mort, il se consacre au seul hobby dont il est sûr qu’il ne finira jamais. De fait, une collection digne de ce nom ne peut s’achever ou alors, c’est qu’elle est en route pour l’éternité, à savoir le musée.
« C’est au Japon, dans un caniveau, que j’ai trouvé mon premier trophée », explique Arsène, collectionneur d’échantillons de parfum. « Au bonheur de la découverte, s’est ajoutée immédiatement, le manque de la pièce suivante. » Au fil des ans, Arsène a engrangé plus de deux-mille répliques, une fortune. « C’est en 1980 que j’ai réalisé que d’autres partageaient ma passion et qu’elle avait une valeur sur le marché. Du coup, j’ai cessé de chiner en solitaire. J’ai passé des annonces si bien que j’ai des amis partout, en Angleterre, en Italie, à qui je rends visite régulièrement pour pratiquer des échanges. Le revers de la médaille ce sont les départs justement, je crains un cambriolage dont je ne me relèverais pas ».
« Ces échanges, bonheur ineffable des collectionneurs », écrivait Balzac, tandis que les psys nous rappellent combien ils font plaisir aux enfants dans les cours de récréation. Notons que si certaines célébrités amateurs de Fly-Tox comme le dessinateur de BD Frank Margerin, ou de gobelets, comme Sonia Rykiel, se racontent volontiers, nombreux sont ceux qui se cachent. Ainsi, la baronne de Rothschild garda le secret de sa collection de têtes de mort jusqu’à la fin, tout comme Pierre Lazareff qui nourrissait une drôle de passion pour les poupées anciennes.
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Secrète ou non, il arrive que la collection prenne des allures de cancer. Où ranger tout cela ? Pierre Lescure a longtemps possédé un appartement de 160m2 à Paris, uniquement destiné à entasser plus de trois cents tableaux, radios de bakélite, jouets, gadgets pop, accumulés durant vingt ans. « Une véritable caverne d’Ali Baba où j’éprouvais le plaisir rare de respirer parmi mes objets fétiches. Certains de mes amis comme Alain Chabat ou Dominique Farrugia, capables de se déplacer avec économie dans mon foutoir ont éprouvé avec moi le bonheur de traîner au milieu de mes jouets. Je m’en suis séparé au moment où pour la première fois, j’ai envisagé de me poser avec femme et enfant. C’était en 2004, le catalogue de la vente qui a eu lieu chez Sotheby’s est désormais collector. La préface a été écrite par Etienne Robial qui a évoqué ma collection en ces termes : Lescure signe ici son double album blanc. Cette vente a été un vrai succès : neuf records mondiaux obtenus par des œuvres hyperréalistes de John Salt, Davis Cone, etc. Le détail d’un flipper par Charles Bell a même atteint 243 200 euros. Quelque années plus tard, déjeunant avec Daniel Filipacchi et Christophe, deux autres collectionneurs fous, j’ai eu la surprise d’entendre Daniel me dire qu’il avait acheté 4 de mes pin-up dont il avait soigneusement noté les références. C’est lui qui avant la vente m’avait rassuré en me disant que j’allais tourner une page et que je serai surpris de constater que mon « capharnaüm » racontait une histoire. Il avait raison ».
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Le même Daniel Filipacchi, magnat secret, fondateur du plus grand groupe de presse magazine dans le monde, intouchable parmi les intouchables, que n’importe qui peut rencontrer à condition d’être sur la piste de l’une de ses pièces manquantes. Ce, qu’il s’agisse de peinture surréaliste (la plus importante du monde, dit-on, qui a eu les honneurs d’une rétrospective au musée Guggenheim de New York), de disques de jazz ou de bibliophilie.
Bonheur, passion, séparation, la collection ne se raconte que sur le mode majeur.
Le désir du collectionneur comme celui de Don Juan, est stimulé par la difficulté, il se flétrit dans la possession et est voué à l’insatisfaction. Raymonde Moulin, auteur du Marché de la peinture en France, paru aux Editions de Minuit, a consacré quelques belles pages aux amateurs d’art. Elle écrit : « Comme la passion de l’amant, celle du collectionneur est jalouse et inquiète. Elle aspire à une possession unique et totale. » Nombreux sont les richissimes hommes d’affaires qui, possédant tout en ce bas monde, ne peuvent s’intéresser qu’à ce qui ne leur appartiendra jamais tout à fait. C’est à se demander si les prix fous qu’atteignent certains tableaux ne sont pas là pour leur permettre de trouver le salut. Que deviendraient-ils si tout, vraiment tout, était à leur portée ? Que faire quand on ne peut plus rêver sur la pièce ou plutôt l’orgasme suivant ? Comment vivre sans personne au-dessus de soi ? Au moins Giacometti, Tanguy et les autres épanchent-ils la soif d’absolu de nos pauvres puissants.
Dans son livre, Raymonde Moulin interroge un amateur qui dit : « la collection est une paresse. Elle est une façon de s’approprier l’œuvre d’autrui et de s’en parer comme de plumes de paon. C’est participer au génie créateur. C’est croire que l’on s’accroit de ce monde imaginaire qu’est celui de Magritte, Picasso, et d’autres, plus jeunes. C’est se glorifier intérieurement, se grandir, s’enrichir du monde qu’a élaboré l’artiste. Devant sa propre incapacité, le collectionneur crée au second degré, avec des œuvres façonnées par d’autres, une œuvre à laquelle il s’identifie ». « On devient artiste de sa collection à défaut d’être artiste tout court.
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Et l’argent tout ça ?
On est entre gens du même bord, on partage l’émotion de la vente « au cul du camion », nous apprend Isabelle Woolworth dont la boutique rue de Seine à Paris, abrite des bijoux et des miroirs anciens qui lui valent la visite de princesses vénitiennes et de têtes couronnées venues du monde entier. Lorsque l’argent est le seul moteur, on a affaire à un marchand, un faux collectionneur en somme. Même si jouer à se faire peur, à être le plus malin, fait partie du plaisir.
Les collectionneurs dont le principal souci pourrait être de se distinguer des autres, connaissent des étapes communes. A dix ans, l’accumulation correspond à un stade normal du développement, surtout chez les garçons. C’est le moment où pour affirmer sa différence, on entasse les billes, les canifs, les porte-clés. L’âge où se mesurer à l’autre conduit à posséder plus. C’est comme dans la chanson J’ai du bon tabac dans ma tabatière. La tabatière, pourrait être le sexe masculin érigé ici en pièce rare. Les collectionneurs comme les enfants qui souffrent du complexe de castration, imaginent qu’on veut leur dérober leurs précieux objets. Rien de grave, si ce n’est une angoisse certaine devant la séparation. Il y a danger seulement lorsque la passion est telle qu’elle coupe du siècle celui qui s’y adonne. Celui par exemple, resté anonyme, qui a pu s’acheter le cri de Munch, pour le cacher on ne sait où. Un cri infini devant l’absolu solitude de l’homme qui, possédant désormais l’oeuvre la plus chère du monde, n’espère plus rien.
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Cinq-cents soldats soigneusement rangés gardent en silence la chambre de François, 24 ans. Une impression qui confine au malaise saisit le visiteur. François est collectionneur. C’est à dire qu’il consacre la majeure partie de sa vie et la totalité de ses pensées à sa passion. Son argent, son temps, sa volonté, sont aspirés par ces figurines dont il est tombé amoureux à l’âge où les autres garçons commencent à regarder les filles. « Du plus loin que je me souvienne, je vois des petits soldats. Ceux de mon grand oncle qu’il était interdit de toucher –comme les miens aujourd’hui- et que ma mère acceptait de m’offrir en récompense de mes bonnes notes ».
Dans la vie, tout se flétrit, s’abîme et meurt. Une collection, c’est le contraire.
Au lieu de se ratatiner, elle se développe, prend de la valeur. Chaque jour lui apporte un plus au lieu d’un moins. Or, l’accumulateur a le vide en horreur. N’acceptant pas l’idée de la mort, il se consacre au seul hobby dont il est sûr qu’il ne finira jamais. De fait, une collection digne de ce nom ne peut s’achever ou alors, c’est qu’elle est en route pour l’éternité, à savoir le musée.
« C’est au Japon, dans un caniveau, que j’ai trouvé mon premier trophée », explique Arsène, collectionneur d’échantillons de parfum. « Au bonheur de la découverte, s’est ajoutée immédiatement, le manque de la pièce suivante. » Au fil des ans, Arsène a engrangé plus de deux-mille répliques, une fortune. « C’est en 1980 que j’ai réalisé que d’autres partageaient ma passion et qu’elle avait une valeur sur le marché. Du coup, j’ai cessé de chiner en solitaire. J’ai passé des annonces si bien que j’ai des amis partout, en Angleterre, en Italie, à qui je rends visite régulièrement pour pratiquer des échanges. Le revers de la médaille ce sont les départs justement, je crains un cambriolage dont je ne me relèverais pas ».
« Ces échanges, bonheur ineffable des collectionneurs », écrivait Balzac, tandis que les psys nous rappellent combien ils font plaisir aux enfants dans les cours de récréation. Notons que si certaines célébrités amateurs de Fly-Tox comme le dessinateur de BD Frank Margerin, ou de gobelets, comme Sonia Rykiel, se racontent volontiers, nombreux sont ceux qui se cachent. Ainsi, la baronne de Rothschild garda le secret de sa collection de têtes de mort jusqu’à la fin, tout comme Pierre Lazareff qui nourrissait une drôle de passion pour les poupées anciennes.
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Secrète ou non, il arrive que la collection prenne des allures de cancer. Où ranger tout cela ? Pierre Lescure a longtemps possédé un appartement de 160m2 à Paris, uniquement destiné à entasser plus de trois cents tableaux, radios de bakélite, jouets, gadgets pop, accumulés durant vingt ans. « Une véritable caverne d’Ali Baba où j’éprouvais le plaisir rare de respirer parmi mes objets fétiches. Certains de mes amis comme Alain Chabat ou Dominique Farrugia, capables de se déplacer avec économie dans mon foutoir ont éprouvé avec moi le bonheur de traîner au milieu de mes jouets. Je m’en suis séparé au moment où pour la première fois, j’ai envisagé de me poser avec femme et enfant. C’était en 2004, le catalogue de la vente qui a eu lieu chez Sotheby’s est désormais collector. La préface a été écrite par Etienne Robial qui a évoqué ma collection en ces termes : Lescure signe ici son double album blanc. Cette vente a été un vrai succès : neuf records mondiaux obtenus par des œuvres hyperréalistes de John Salt, Davis Cone, etc. Le détail d’un flipper par Charles Bell a même atteint 243 200 euros. Quelque années plus tard, déjeunant avec Daniel Filipacchi et Christophe, deux autres collectionneurs fous, j’ai eu la surprise d’entendre Daniel me dire qu’il avait acheté 4 de mes pin-up dont il avait soigneusement noté les références. C’est lui qui avant la vente m’avait rassuré en me disant que j’allais tourner une page et que je serai surpris de constater que mon « capharnaüm » racontait une histoire. Il avait raison ».
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Le même Daniel Filipacchi, magnat secret, fondateur du plus grand groupe de presse magazine dans le monde, intouchable parmi les intouchables, que n’importe qui peut rencontrer à condition d’être sur la piste de l’une de ses pièces manquantes. Ce, qu’il s’agisse de peinture surréaliste (la plus importante du monde, dit-on, qui a eu les honneurs d’une rétrospective au musée Guggenheim de New York), de disques de jazz ou de bibliophilie.
Bonheur, passion, séparation, la collection ne se raconte que sur le mode majeur.
Le désir du collectionneur comme celui de Don Juan, est stimulé par la difficulté, il se flétrit dans la possession et est voué à l’insatisfaction. Raymonde Moulin, auteur du Marché de la peinture en France, paru aux Editions de Minuit, a consacré quelques belles pages aux amateurs d’art. Elle écrit : « Comme la passion de l’amant, celle du collectionneur est jalouse et inquiète. Elle aspire à une possession unique et totale. » Nombreux sont les richissimes hommes d’affaires qui, possédant tout en ce bas monde, ne peuvent s’intéresser qu’à ce qui ne leur appartiendra jamais tout à fait. C’est à se demander si les prix fous qu’atteignent certains tableaux ne sont pas là pour leur permettre de trouver le salut. Que deviendraient-ils si tout, vraiment tout, était à leur portée ? Que faire quand on ne peut plus rêver sur la pièce ou plutôt l’orgasme suivant ? Comment vivre sans personne au-dessus de soi ? Au moins Giacometti, Tanguy et les autres épanchent-ils la soif d’absolu de nos pauvres puissants.
Dans son livre, Raymonde Moulin interroge un amateur qui dit : « la collection est une paresse. Elle est une façon de s’approprier l’œuvre d’autrui et de s’en parer comme de plumes de paon. C’est participer au génie créateur. C’est croire que l’on s’accroit de ce monde imaginaire qu’est celui de Magritte, Picasso, et d’autres, plus jeunes. C’est se glorifier intérieurement, se grandir, s’enrichir du monde qu’a élaboré l’artiste. Devant sa propre incapacité, le collectionneur crée au second degré, avec des œuvres façonnées par d’autres, une œuvre à laquelle il s’identifie ». « On devient artiste de sa collection à défaut d’être artiste tout court.
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On est entre gens du même bord, on partage l’émotion de la vente « au cul du camion », nous apprend Isabelle Woolworth dont la boutique rue de Seine à Paris, abrite des bijoux et des miroirs anciens qui lui valent la visite de princesses vénitiennes et de têtes couronnées venues du monde entier. Lorsque l’argent est le seul moteur, on a affaire à un marchand, un faux collectionneur en somme. Même si jouer à se faire peur, à être le plus malin, fait partie du plaisir.
Les collectionneurs dont le principal souci pourrait être de se distinguer des autres, connaissent des étapes communes. A dix ans, l’accumulation correspond à un stade normal du développement, surtout chez les garçons. C’est le moment où pour affirmer sa différence, on entasse les billes, les canifs, les porte-clés. L’âge où se mesurer à l’autre conduit à posséder plus. C’est comme dans la chanson J’ai du bon tabac dans ma tabatière. La tabatière, pourrait être le sexe masculin érigé ici en pièce rare. Les collectionneurs comme les enfants qui souffrent du complexe de castration, imaginent qu’on veut leur dérober leurs précieux objets. Rien de grave, si ce n’est une angoisse certaine devant la séparation. Il y a danger seulement lorsque la passion est telle qu’elle coupe du siècle celui qui s’y adonne. Celui par exemple, resté anonyme, qui a pu s’acheter le cri de Munch, pour le cacher on ne sait où. Un cri infini devant l’absolu solitude de l’homme qui, possédant désormais l’oeuvre la plus chère du monde, n’espère plus rien.
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