Avez-vous remarqué comme les souvenirs peuvent ressembler à des racines que l’on peut croire enfouies à jamais et qui, un jour, ressortent là ou personne ne pouvait les attendre…
Novembre 1969, Royan, Charente Maritime.
Habituellement c’est mon père, une fois par mois qui m’accompagne au cinéma, mais, en déplacement professionnel depuis plusieurs semaines, il me manque et la toile aussi. N’ayant pas d’argent de poche et n’étant pas accompagné par un adulte, impossible d’espérer voir les derniers films sur grand écran.
A dix ans, l’imagination ne manque pas. Passant et repassant devant le Cinéma Pierre Loti, une idée me taraude. Je peux j’en suis sur, passer par le toit du cinéma, descendre par le conduit d’aération pour atteindre les sous-pentes et enfin, parvenir à gagner la salle de projection ou un bon fauteuil devrait m’attendre.
Je passe volontairement les détails de l’ascension, et me voilà fier et insouciant sur le toit, prêt à risquer la descente à travers le conduit d’aération. Aussi irresponsable qu’intrépide, j’entame la descente qui s’avère plus facile que prévue. Le conduit a une pente acceptable et après une multitude de méandres j’aperçois enfin une grille libératrice. La chance du débutant m’accompagne car celle-ci n’est pas fixée.
Me voilà donc dans le noir le plus total à la recherche d’un repaire. Je me cogne à ce qui semble être une poutre et je décide de poursuivre mon périple aventureux à quatre pattes, quand, sur ma droite j’entends un bruit de pas qui s’avance vers moi. Je me fige dans le plus grand silence. L’attente me semble interminable. A la peur s’ajoutent maintenant les crampes.
Un bruit de mécanisme se fait maintenant entendre devant moi, quelque chose se lève j’en suis presque sûr. Alors que je décide de me relever une lumière aveuglante m’empêche de bouger. A genoux, sans savoir ou je suis, j’entends des rires, des centaines de rires. Je dois être tombé, mort peut-être et j’ai atteint le paradis. Aux rires succède une voix douce et apaisante –
« Tu veux que je t’aide ? »
Cette voix je la connais, je l’ai déjà entendu. Je relève la tète vers la droite et j’aperçois entouré d’un halo de lumière un homme portant un chapeau et arborant un large sourire. Il me tend la main et m’aide à me relever.
- Tu viens d’où petit ?
- Du toit monsieur. (les rires redoublent)
- Et tu as fait tout ce chemin pour venir me voir ?
- C’est Don Camillo que je suis venu voir monsieur. (le public jubile)
- Et maintenant que tu le vois, tu as quelque chose à lui demander ?
- Non monsieur, je veux juste voir le film. (la salle explose de rires)
Jugeant que le spectacle a assez duré, d’un signe de la main, le directeur est appelé pour me reconduire.
Tant que je suis sur la scène tout va bien, mais arrivé à la hauteur du rideau, les choses se compliquent me voilà tiré et trainé par l’oreille, mes pieds décollent du sol. La douleur est heureusement de courte durée, un géant derrière moi arrive à mon secours. Il demande au Directeur de le suivre, discute avec lui sans que je puisse entendre ses paroles.
Le Directeur qui s'avère être le projectionniste me demande de le suivre, et me conduit dans la salle, en me demandant de m'assoir. Je suis placé au second rang, et mon sauveur, resté sur scène me fait un petit signe de la main.
Après un petit discourt destiné aux spectateurs venu voir son nouveau film (heureux qui comme Ulysse) Monsieur Fernandel, s'éclipse poliment, non sa avoir eut à mon égard un petit sourire complice.
Persuadé d'avoir resquillé pour pouvoir assister à un fil mettant en scène Don Camillo je suis un peu déçu, mais je savoure quand même ce moment de magie...
Le mot fin sur l'écran, voilà le moment de retourner à la maison ou mes devoirs de classe m'attendent,
les yeux encore pleins de rêves, les poches pleines de bonbons, car en plus d’être dorloté par le Directeur du cinéma, mon sauveur à demander à ce que j’ai des confiseries pour toute la durée du film…
Novembre 2014. Cannes, Palais des Festivals.
Je suis invité par une association qui milite pour aider les jeunes défavorisés en leurs donnant un accès plus faciles et gratuit à la culture en général. La littérature, le cinéma, la peinture, la musique, sont mis en avant par cette association.
Je suis présent pour faire des photos qui viendront compléter un article que je dois écrire et qui paraîtra dans la revue de l'association.
Le Président après avoir présenté les différentes actions réalisées en faveurs des enfants en situations d’échecs ou d’exclusions, tient à nous présenter un nouveau membre. Il vient à peine de rejoindre le groupe de bénévoles et doit prendre la parole.
- Je m’appelle Claude I. Je suis ce que vous pouvez appeler un autodidacte, un touche à tout. Durant ma vie professionnelle j’ai eu l’occasion de faire plusieurs métiers, mais un seul m’a procuré des joies que personne ne pourra me faire oublier. Projectionniste, oui projectionniste durant plus de vingt ans. - J’en ai vu des films, j’en ai fait des rêves, mais ce qui me fait vous rejoindre aujourd’hui c’est le combat que vous menez en faveurs de ces enfants qui ne connaîtront pas ces joies si nous ne faisons rien.
- Pour étayer mon propos je tiens à vous raconter une petite histoire qui m’est arrivé un jour, il y a bien longtemps, un jeudi après midi…
Que pensez-vous que cet homme va raconter ? Tout simplement, et 45 années plus tard, le jour ou j’ai bien malgré moi rencontré Monsieur Fernandel. Je suis là assis sans pouvoir décrocher un seul mot. C’est pourtant mon histoire, c’est moi le petit garçon…
Un sentiment de pudeur m’interdit d’en parler et de témoigner. Prouvant que toute action si petite soit-elle, entraine inévitablement des conséquences, comme le battement d’ailes d’un papillon provoquant une onde sur l’eau d’un lac…Un jour, et malgré la distance, la vaguelette vous rattrape.
Attendant patiemment la fin de son récit, je décide d’attendre « « mon » projectionniste dehors, car il me reste une question à lui poser. Depuis toutes ces années qu’a bien pu lui dire Fernandel pour qu’un traitement de faveurs me soit servi quarante cinq ans plus tôt ?
La réponse dépasse tous mes rêves de gamin, toutes mes suppositions d’adulte. Après avoir expliqué ma démarche, et ce pourquoi je l’attendais, Claude me confie son secret qui est aussi le mien.
Rappelez-vous, voyant que j’allais passer un sale quart d’heure, Fernandel décida de venir à mon secours…
Savez-vous pourquoi il faut arrêter de tirer l’oreille de ce gosse ? parce qu’il vient de m’apporter tant de joie, parce ce que j’ai cru qu’à ma seule apparition le public se mettait à rire sans que j’ai à faire la moindre grimaces. Pouvez-vous comprendre ce que cela représente pour moi ?
Installez-le au premier rang et faites en sorte qu’il passe un bon moment.
Voilà, je sais à présent pourquoi j’ai eu cette chance insolente, et à qui je dois ce moment d’incroyable magie, qu’à dix ans je n’avais pas évalué à sa juste valeur.
Les années passent et le petit garçon que je suis resté ouvre grand son cœur pour remercier une fois encore, en espérant qu’un jour il pourra rendre à son sauveur le salut qu’il lui a adressé de tout la haut…